Introduction aux TPE | La Haute Couture |
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La Haute Couture et ses dérivés : un milieu très médiatisé | La ville, lieu de création : Paris, capitale de la Haute CoutureEn quoi la haute-couture est-elle un art controversé ? |
LE LUXE |
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Dans la Haute Couture, il est une chose que nul ne pourrait nier : l’intervention inévitable du luxe. Mais qu’est-ce que le Luxe exactement ?
Définition du Luxe : * Selon le Larousse universel : Le luxe se définit par une somptuosité excessive (ici, dans le vêtement). Les Lois somptuaires ont pour but de mettre un frein au luxe croissant (restreindre et réglementer les dépenses, à l’origine dans l’Antiquité romaine). * Selon l’encyclopédie Universalis : « Gustave Flaubert, dans le Dictionnaire des idées reçues, définit le luxe comme ce qui « perd les Etats ». Le luxe corrupteurs des civilisations vertueuses : après l’âge de fer et l’âge d’airain, les sociétés verraient tôt au tard la douceur de vivre amollir les individus qui la composent. La notion de luxe se rapprocherait donc de celle de décadence. Le goût pour le raffinement serait opposé à la naïveté originelle, à la fonctionnalité première des objets de l’environnement quotidien, à la simplicité et à l’univocité, des gestes et des discours. D’emblée, le luxe considéré comme le péché de raffinement, entre le grossier et le voyant, entre l’ordinaire et le m’as-tu-vu. Mais l’appartenance du luxe au domaine de la décadence n’est pas suffisante pour en préciser la définition socialement reconnue et acceptée. En effet, le luxe est souvent mis en relation avec la manifestation du pouvoir, avec la différence sociale, avec l’arbitraire culturel. Le pouvoir politique et administratif utilise les différents aménagements urbains afin de blasonner l’espace, de le marquer monumentalement : le luxe monumental, celui du « devoir embellir », est présent à la fois comme insigne et comme enseigne, comme présentation d’un marquage et donc d’une appropriation et comme représentation du pouvoir politique et économique. La présentation et la représentation, par le luxe, de la décoration et de l’aménagement de l’espace urbain ou palatin marquent ainsi l’obligation de la distinction. Distinguer, c’est évidement classer des objets, des parures, des monuments et des goûts qui doivent nécessairement faire partie d’une catégorie arbitraire et socialement admise qui découpe l’univers des valeurs selon les rituels manichéens du vulgaire et du luxueux. Le luxe est ainsi la somme complexe d’activités sociales classant à la fois l’antérieur vertueux et le futur décadent, la représentation d’un pouvoir, la distinction entre la vulgarité du rien, d’une part, et, d’autre part, la valeur esthétique et son incarnation dans une série d’objets, de comportements, de produits sociaux sur lesquels, à un moment historique donné, des individus apposeraient une sorte de label intrinsèque. De l’arbitraire au don Tout objet, tout comportement, toute aventure du corps et du cœur, tout alezan à l’amble souple, tout corsage en peau d’ange, tout livre relié de basane bleue, tout vin de Sauternes ou de Hongrie peuvent être estampilles comme luxueux. Une fraction de la population, démographiquement, préside à l’ordination des objets et des cultes luxueux ; elle dispose du pouvoir d’en régler les cérémonies, les avènements, les rites de passage et de métamorphoses. Il ne s’agit pas ici de mode, mais d’un establishment des objets, d’une configuration de leurs présences simultanées dans un espace et dans un temps donnés. Le catalogue en est infini puisqu’il change arbitrairement d’une société à l’autre, d’un temps à l’autre. Ainsi, pour Sei-shonagon [femme de lettres japonaise], à la cour de l’impératrice, le luxe apparaît dans la concision de la phrase ; « le vulgaire a toujours une syllabe de trop. Il donne la clef de l’arbitraire des objets luxueux qui va se métamorphoser en code social de l’appréhension des objets et des comportements excluant la possibilité qu’une chose laide puisse être acceptée dans le domaine du luxe et que le jugement esthétique puisse être mis en doute . » Valéry Larbaud [poète français du début du XXème siècle], dans le Journal intime de A. O. Barnabooth, décrit cette réglementation taxinomique des objets. A Florence, le 12 avril, Barnabooth fait de nombreux achats alors qu’il habite au Carlton dans une suite de dix pièce donnant sur l’ Arno : « Je crois que jamais je ne me lasserai d’acheter des objets de luxe, c’est chez moi fort comme une vocation. » Le luxe n’est ainsi que le plaisir et le don, une pratique intéressée du désintéressement, la délégation magique d’objets qui se dévaluent en passant de la main qui donne à la main qui reçoit. A l’essentialisation de l’arbitraire, à la production du goût luxueux et à sa construction en style de vie s’ajoute obligatoirement le paradoxe de l’ostentation et de la dévaluation symbolique des objets et des comportements luxueux. Acheter est donc un acte de classement des objets ; présenter est un acte de mise en scène valorisant ce classement ; donner est une affirmation du classement des objets luxueux grâce au comportement intéressé du désintéressement luxueux. La distinction de l’arbitraire Le texte de Valéry Larbaud précédemment cité peut servir ici de fil conducteur. Les pratiques de distinction luxueuses, les goûts de luxe ne sont pas seulement ceux du fétichisme des objets (sacs de cuir, parfums rares et discrets ) ni de certaines situations ( wagon-salon des grands express européens ) : des jugements les manifestent aussi qui, à chaque instant, fabriquent de la différence, classent les acteurs sociaux, diversifient l’ici et le même, l’autre et l’ailleurs, dans un jeu où les règles et les enjeux sont –faussement- à la disposition de celui qui, en jugeant, déjuge autrui sans procès . L’utilisation de la distinction est alors la source du luxe . Cette utilisation a deux conséquences immédiatement sensibles ; l’une est celle de la disqualification, l’autre est celle de l’affinement perpétuel du jeu des variations alexandrines de la classification de ce qui est ou peut devenir luxueux. Il s’agit ici de deux formes d’accumulations symboliques auxquelles se rattachent deux styles de vie que sépare la frontière du goût et de l’absence de goût. Le luxe devient alors marottes de clubs aux recrutements socialement contrôlés. L’intériorisation des règles du savoir-dire, du savoir-faire et du savoir-vivre donnent à certains individus une maîtrise parfaite du code des conduites mondaines ainsi que l’intelligence immédiate des situations sociales. Elle leur permet d’assigner une signification précise à la manipulation de certains objets. Boire des alcools rares car littérairement connotés, acheter des gardénias, fumer un Havane Rafael Gonzales, s’habiller avec des jersey de soie de chez Léonard ou bien avec un tailleur Chanel, voilà qui est considéré par la plupart de ceux qui s’adonnent à ces pratiques comme autant de consommations naturelles de la culture, des consommations qui ne sont définies comme « incroyables » que par les sauvages du luxe qui, à chaque acte social, en se trompant de mesure, se distinguent comme déclassées. Il en va évidement de même pour les sentiments et les passions. La cérémonie des pouvoirs Les réactions à l’inégalité vont de l’indifférence entre passants inégalement fortunés qui se croisent dans la rue à l’humilité du paysan qui admire la richesse du Radjah et à la comparaison, laquelle oscille entre la haine et le sentiment de participation. La délégation de la valeur que la culture savante donne à des objets cités comme luxueux s’exprime aussi dans l’espace urbain et l’espace palatin : il s’agit, certes, d’embellir, mais aussi de construire des lieux publics où le luxe d’un pouvoir peut se donner en spectacle. La participation d’autrui ne peut ici exister que sur le mode de l’illusion, comme leurre de distinction. Montrer le luxe d’un régime au pouvoir, c’est démontrer sa puissance en marquant l’espace de son empreinte, en blasonnant les villes de ses décisions ; c’est donc, comme l’écrit Molière dans les Fâcheux : Régler et ses états et se propres désirs Joindre aux nobles travaux les plus nobles plaisirs. Le luxe est alors, grâce à l’ostentation monumentale, l’investissement le plus rentable qui permet d’estimer –dans tous les sens du terme- et d’être estimé par autrui. Le luxe est ainsi nécessaire à l’acceptation et à la stabilisation de l’univers des jugements de valeur et des normes du goût. Pavane de la distinction et du pouvoir, manipulation non dénuée de plaisir des espaces considérés comme des scènes d’ostentation, de la séduction et de la captation, la production du luxe, et c’est là un truisme, n’existe que dans les sociétés inégalitaires, mais en existe-t-il d’autres ? ».
L'art est-il un luxe ? Par multiples aspects, l’art peut être considéré comme un jeu . Ce caractère inutile et ludique de l'art fait parfois de lui un luxe. On a souvent lié l'œuvre d'art à l'ostentation des puissants. Mais on ne peut cependant pas nier le fait que certains hommes réduits à des situations de misère ont trouvé un soulagement et en quelque sorte une libération dans l'expression de leur détresse et de leurs espoirs à travers l’art. On connaît des chants d'esclaves et des poèmes de déportés. L'art cesse alors d'être un jeu mais, malgré sa gravité, il reste en marge des intérêts et de l'action efficace. Luxe des puissants ou consolation des misérables, l'art permet à l’homme dans les deux cas de se situer hors du besoin.
La dépense gratuite : La vie quotidienne de l’homme est pavée de désirs et de satisfactions débordant largement la simple sphère de nos besoins soit disant « essentiels ». Si l'on définit en effet le besoin comme l'ordre de la nécessité absolue, vitale, on s'aperçoit très vite que, dans toutes les cultures, la majeure partie des activités humaines, pour le meilleur et pour le pire, est consacrée à des choses à la fois essentielles et inutiles . L'art, la recherche du luxe ou la quête perpétuelle d'un confort matériel superflu, qui motivent la plus grande part de nos efforts, sont bien la preuve de notre volonté de dépasser le domaine du strict nécessaire. Nos activités les plus vitales, telles que l'alimentation, l'habitation, l'habillement, sont autant de démonstrations (souvent culturelles) de notre désir de ne pas régler notre vie sur le strict besoin mais également sur la satisfaction de petits « plaisirs personnels » superflus. On en vient donc facilement (dans une société pouvant se le permettre économiquement) à une culture empreinte du luxe. Mais ce luxe, preuve d’une certaine richesse, ne mènerait-il pas l’homme à sa perte ?
Le développement du luxe et l'idée de progrès La tentation est donc grande d'assimiler le développement des arts, des sciences et des techniques, à un certain progrès culturel. Si cette vue n'est pas absolument fausse, rien ne permet d'affirmer que le dépassement de la nature par le développement du pouvoir que les hommes exercent sur elle conduit nécessairement à la satisfaction de désirs forcément légitimes… Sans refuser systématiquement les bienfaits matériels du développement des sciences et des techniques, on ne peut exclure qu'ils puissent conduire l'espèce humaine à sa perte, et le reste des vivants avec elle, si aucune précaution n'est prise quant aux limites de cette maîtrise. Et du point de vue de l'éthique, on devrait s’interroger sur la légitimité des désirs qui inspirent certaines demandes adressées aux sciences et aux techniques. L'un des mérites de Rousseau fut sans doute, en pleine époque des Lumières - tout en reconnaissant que, lorsqu'on a goûté aux avantages de la civilisation, il ne saurait être raisonnablement question d'y renoncer -, d'avoir mis en évidence que le luxe sur lequel ces désirs débouchent (ce qu'on appelle aujourd'hui «la société de consommation ») n'est pas en soi une garantie de progrès moral ni de justice sociale.
La logique du luxe : En dénonçant le goût du luxe, qui est recherche de biens dont la jouissance n'est pas absolument nécessaire à la vie, Rousseau ne veut pas tant condamner les conquêtes matérielles de l'humanité que mettre les hommes en garde contre les risques qu'ils courent en oubliant des valeurs plus fondamentales. Discours sur les sciences et les arts (1751) Jesais que notre philosophie, toujours féconde en maximes singulières, prétend, contre l'expérience de tous les siècles, que le luxe fait la splendeur des États ; mais après avoir oublié la nécessité des lois somptuaires, osera-t-elle nier encore que les bonnes mœurs ne soient essentielles à la durée des empires, et que le luxe ne soit diamétralement opposé aux bonnes mœurs ? Que le luxe soit un signe certain des richesses ; qu'il serve même si l'on veut à les multiplier : que faudra-t-il conclure de ce paradoxe si digne d'être né de nos jours ; et que deviendra la vertu, quand il faudra s'enrichir à quelque prix que ce soit ? Les anciens politiques parlaient sans cesse de mœurs et de vertu ; les nôtres ne parlent que de commerce et d'argent. L’un vous dira qu'un homme vaut en telle contrée la somme qu'on le vendrait à Alger ; un autre en suivant ce calcul trouvera des pays où un homme ne vaut rien, et d'autres où il vaut moins que rien. Ils évaluent les hommes comme des troupeaux de bétail. Selon eux, un homme ne vaut à l'État que la consommation qu'il y fait. Jean-Jacques Rousseau, Discours sur les sciences et les arts (1751), Flammarion, coll. «GF», 1971, p. 49-50. Ainsi Rousseau nous fait part dans ce texte de son désaccord quant à l’utilisation du luxe au sein de la société. Autrefois allant de pair avec les « bonnes mœurs » et les « vertus » le luxe ne serait aujourd’hui qu’un moyen de plus pour pervertir la société et la mener à sa perte. Ne rimant plus qu’avec le « commerce et l’argent », l’utilisation du luxe n’a, aux yeux du philosophe, qu’un aspect primaire de « consommation » et de dépense gratuite. Dans Du contrat social, de Jean Jacques Rousseau encore, l’idée selon laquelle ce luxe n’est en fait qu’un moyen de plus d’abaisser l’homme à un état d’insatisfaction perpétuelle nous est clairement exprimée. Corrompant « à la fois le riche et le pauvre » il n’est source que de malheur puisqu’il ne donne à l’homme qu’un désir jamais satisfait de possession inespérée. Ducontrat social (1762) Ou le luxe est l’effet des richesses, ou il les rend nécessaires ; il corrompt à la fois le riche et le pauvre, l’un par la possession, l’autre par la convoitise ; il vend la patrie à la mollesse, à la vanité ; il ôte à l’état tous ses citoyens pour les asservir les uns aux autres, et tous à l’opinion. Voilà pourquoi un auteur célèbre a donné la vertu pour principe à la république, car toutes ces conditions ne sauraient subsister sans la vertu ; mais, faute d’avoir fait les distinctions nécessaires, ce beau génie a manqué souvent de justesse, quelque fois de clarté, et n’a pas vu que l’autorité souveraine étant partout la même, le même principe doit avoir lieu dans tout Etat bien constitué, plus ou moins, il est vrai, selon la forme du gouvernement. Ajoutons qu’il n’y a pas de gouvernements si sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines que le démocratique ou populaire, parce qu’il n’y en a aucun qui tende si fortement et si continuellement à changer de forme, ni qui demande plus de vigilance et de courage pour être maintenu dans la sienne. C’est surtout dans cette constitution que le citoyen doit s’armer de force et de constance, et dire chaque jour de sa vie au fond de son cœur ce que disait un vertueux Palatin*, dans la diète de Pologne : Malo Periculosam lihertatem quam quietum servitium. S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes. * Le Palatin de Posnanie, père du Roi de Pologne, Duc de Lorraine. Jean-Jacques Rousseau , Du contrat social Malgré la démarche tout à fait cohérente de Jean-Jacques Rousseau quant à la raison d’être du luxe, nous ne devons pourtant pas en rester à de telles considérations. Certes cette notion est tout à fait condamnable si l’on se place du point de vue de l’utilité du luxe. Mais là on en viendrait aux interrogations qui concernent l’utilité de l’art en lui-même traitées précédemment. En effet, on a bien vu que le luxe est très souvent un moyen de démonstration ostentatoire d’une richesse, que ce soit au sein d’une société ou bien chez l’être humain seul. Certes le luxe peut avoir un côté pervers et écœurant face à la pauvreté évidente de certaines régions, mais cela reste pourtant un monde bercé par une certaine culture, des traditions, un travail évident et, dans certains domaines, un monde artistique… En ce qui concerne la Haute Couture il s’agit, pour certains, d’un art et presque unanimement d’un luxe. Qu’on la considère comme un art, une industrie ou comme un aspect du domaine de la décoration, on trouvera toujours des mauvaises langues pour dénoncer l’inutilité de cette pratique. Mais alors dans ce cas on n’aurait plus qu’à reprocher aux artistes, quels qu’ils soient, de s’être évertués à passer leur vie à faire quelque chose qui, en fait, « ne sert à rien »… Malgré tout, quelle que soit la définition que l’on donnera à la Haute Couture il est une chose que personne ne pourra retirer aux créateurs et à leur troupe discrète d’artisans, c’est leur talent.
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